Législation / Textes relatifs aux peines et aux prisons en France / De la Monarchie de Juillet à 1914 /

Loi du 19 avril 1898

Loi sur la répression des violences, voies de faits, actes de cruauté et attentats commis envers les enfants.


Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté, Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

Article premier. Les dispositions suivantes sont ajoutées à l’article 312 du Code pénal :
Quiconque aura volontairement fait des blessures ou porté des coups à un enfant au-dessous de l'âge de 15 ans accomplis, ou qui l’aura volontairement privé d’aliments ou de soins au point de compromettre sa santé, sera puni d’un emprisonnement de un an à trois ans et d’une amende de seize à mille francs (10 à 1.000 fr.).
S’il est résulté des blessures, des coups ou de la privation d’aliments ou de soins une maladie ou incapacité de travail déplus de vingt jours, ou s’il y a eu préméditation ou guet-apens, la peine sera de deux à cinq ans d’emprisonnement et de seize a deux mille francs (10 à 2.000 fr.) d’amende et le coupable pourra être privé des droits mentionnés en l’article 42 du présent Code pendant cinq ans au moins et dix ans au plus à compter du jour où il aura subi sa peine.
Si les coupables sont les père et mère légitimes, naturels ou adoptifs ou autres ascendants légitimes ou toutes autres personnes ayant autorité sur l’enfant ou ayant sa garde, les peines seront celles portées au paragraphe précédent, s’il n’y a eu ni maladie ou incapacité de travail de plus de vingt jours ni préméditation ou guet-apens, et celle de la réclusion dans le cas contraire.
Si les blessures, les coups ou la privation d’aliments ou de soins ont été suivis de mutilation, d’amputation ou de privation de l’usage d’un membre, de cécité, perte d’un œil ou autres infirmités permanentes, ou, s’ils ont occasionné la mort sans intention de la donner, la peine sera celle des travaux forcés à temps, et si les coupables sont les personnes désignées dans le paragraphe précédent, celle des travaux forcés à perpétuité.
Si des sévices ont été habituellement pratiqués avec intention de provoquer la mort, les auteurs seront punis comme coupables d’assassinat ou de tentative de ce crime.


Art. 2. Les articles 349, 350, 351, 352 et 353 du Code pénal sont modifiés ainsi qu’il suit :
« Art.349. Ceux qui auront exposé ou fait exposer, délaissé ou fait délaisser, en un lieu solitaire, un enfant ou un incapable, hors d'état de se protéger eux-mêmes, à raison de leur état physique ou mental, seront, pour ce seul fait, condamnés à un emprisonnement de un an à trois ans et à une amende de seize à mille francs (16 à 1.000 fr.)
« Art.350. La peine portée au précédent article sera de deux ans à cinq ans et l’amende de cinquante à deux mille francs (50 à 2.000 fr.) contre les ascendants ou toutes autres personnes ayant autorité sur l’enfant ou l’incapable, ou en ayant la garde,
« Art. 351. S’il est résulté de l’exposition ou du délaissement une maladie ou incapacité de plus de vingt jours, le maximum de la peine sera appliqué.
« Si l’enfant ou l’incapable est demeuré mutilé ou estropié, ou s’il est resté atteint d’une infirmité permanente, les coupables subiront la peine de la réclusion.
« Si les coupables sont les personnes mentionnées à l’article 350, la peine sera celle de la réclusion dans le cas prévu au paragraphe 1er du présent article, et celle des travaux forcés à temps au cas prévu par le paragraphe 2 ci-dessus du dit article.
« Lorsque l’exposition ou le délaissement dans un lieu solitaire aura occasionné la mort, l’action sera considérée comme meurtre.
« Art. 352. Ceux qui auront exposé ou fait exposer, délaissé ou fait délaisser en un lieu non solitaire, un enfant ou un incapable hors d'état do se protéger eux-mêmes, à raison de leur état physique ou mental, seront, pour ce seul fait, condamnés à un emprisonnement de trois mois à un au et à une amende de seize à mille francs (16 à 1.000 fr.).
« Si les coupables sont les personnes mentionnées à l’article 350, la peine sera de six mois à deux ans d’emprisonnement et de vingt-cinq à deux cents francs (25 à 200 fr.) d’amende.
« Art. 353. S’il est résulté de l’exposition ou du délaissement une maladie ou incapacité de plus de vingt jours ou une des infirmités prévues par l’article 309, § 3, les coupables subiront un emprisonnement de un an à cinq ans et une amende de seize à deux mille francs (16 à 2.000 fr.).
« Si la mort a été occasionnée sans intention de la donner, la peine sera celle des travaux forcés à temps.
« Si les coupables sont les personnes mentionnées à l’article 350, la peine sera, dans le premier cas, celle de la réclusion, et dans le second, celle des travaux forcés à perpétuité ».


Art. 3. L’article 2 de la loi du 7 décembre 1874 est modifié comme il suit :
« Art. 2. Les père, mère, tuteur ou patron et généralement toutes personnes ayant autorité sur un enfant ou en ayant la garde, qui auront livré, soit gratuitement, soit à prix d’argent, leurs enfants, pupilles ou apprentis âgés de moins de 16 ans aux individus exerçant les professions ci-dessus spécifiées 1 ou qui les auront placés sous la conduite de vagabonds, de gens sans aveu ou faisant métier de la mendicité seront punis des peines portées en l’article premier 2 .
«La même peine sera applicable aux intermédiaires ou agents qui auront livré ou fait livrer les dits enfants et à quiconque aura déterminé des enfants, âgés de moins de 16 ans, à quitter le domicile de leurs parents ou tuteurs pour suivre des individus des professions susdésignées.
« La condamnation entraînera de plein droit, pour les tuteurs, la destitution de la tutelle. Les père et mère pourront être privés des droits de la puissance paternelle. »


Art. 4. Dans tous les cas de délits ou de crimes commis par des enfants ou sur des enfants, le juge d’instruction commis pourra, en tout état de cause, ordonner, le ministère public entendu, que la garde de l’enfant soit provisoirement confiée, jusqu'à ce qu’il soit intervenu une décision définitive, à un parent, à une personne ou à une insti­tution charitable qu’il désignera ou enfin à l’assistance publique. Toutefois, les parents de l’enfant-,jusqu’au cinquième degré inclusivement, son tuteur ou son subrogé-tuteur et le ministère public pourront former opposition à cette ordonnance ; l’opposition sera portée, à bref délai, devant le tribunal, en chambre du conseil, par voie de simple requête.


Art. 5. Dans les mêmes cas, les cours ou tribunaux saisis du crime ou du délit pourront, le ministère public entendu, statuer définitivement sur la garde de l’enfant.


Art. 6. L’article 463 du Code pénal est applicable aux infractions prévues et réprimées par la présente loi.


Art. 7. Sont et demeurent abrogées toutes les dispositions antérieures contraires à la présente loi. La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l'État.

Fait à Paris, le 19 avril 1898.

FÉLIX FAURE. Par le Président de la République :
Le Garde des sceaux, Ministre de la justice et des cultes,
V. Milliard





Notes

1.

Acrobates, saltimbanques, charlatans, montreurs d’animaux ou directeurs de cirques. (Art. 1er de la loi du 7 décembre 1874).

2.

Six mois à deux ans d’emprisonnement et 16 à 2.000 francs d’amende.