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Berryer, surveillant au bagne de Guyane (1931)

Marc Renneville

Histoire du bagne. Sept mois au bagne
Henri-Marie-Pierre Berryer (1894- ?) est l’auteur du manuscrit inédit « Sept mois au bagne », l'une des pièces rares de la collection rassemblée par Philippe Zoummeroff.

Berryer ne paraît crédité d’aucun ouvrage imprimé. Au moment de la rédaction de ce document, Berryer est un homme possédant une expérience de militaire. Engagé en 1919 dans l’armée coloniale, il a été affecté l’année suivante en Indochine au 2e régiment d’infanterie. Employé comme dessinateur au service géographique, il effectue plusieurs missions à Hanoï, Haiphong et au Cambodge. Ces affectations sont marquées par des hospitalisations pour dysenterie. En 1923, il sollicite un congé sans solde d’un an et se marie avec une métisse indochinoise. Libéré du service actif en août 1924, Berryer est un temps infirmier-major au service de la population locale et travaille ensuite comme civil dans divers emplois, notamment comme géomètre opérateur pour la prospection de gisements de charbons, dans la baie d’Ha-Long. Atteint de paludisme, Berryer souffre également d’une consommation d’opium, dont il est difficile de dire si elle est épisodique ou chronique. Alors qu’il envisage un retour en France pour se soigner, il est nommé surveillant militaire en Guyane.

 

Sept mois de bagne

Après un séjour escale de moins d’un mois en France, Berryer débarque en Guyane le 22 juillet 1929 pour rejoindre son poste. Il n’y fera qu’un bref séjour. Sept mois exactement.  « Sept mois au bagne » qu’il semble bien avoir vécu comme « sept mois de bagne ». Les relations de Berryer avec la hiérarchie pénitentiaire ne sont pas bonnes. Son surveillant principal le considère comme un élément « antimilitariste et très indiscipliné ». Surtout, Berryer est malade. Il présente des symptômes de « neurasthénie » - suivant la nosologie de l’époque – qui le rendent incapable d’accomplir normalement son service. Ses antécédents de paludisme et de toxicomanie provoquent son admission, le 8 décembre 1829, à l’hôpital des îles du Salut (île Royale). Le 30 janvier 1930, il est transféré à l’hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni. Fin février 1930, Berryer obtient un congé de convalescence de trois mois. Le 8 mars 1930, il quitte Saint-Laurent avec sa femme sur le courrier Biskra (représenté dans le manuscrit). Il embarque peu après sur le paquebot Macoris pour atteindre le Havre, le 28 mars 1930. En juin, son congé de convalescence est prolongé de trois mois. A la fin de l’année 1930, Berryer est licencié de l’administration pénitentiaire pour inaptitude au service colonial.

La comparaison de diverses sources manuscrites permet d’attester que le texte a bien été rédigé par le signataire. Si l’on se fie aux dates indiquées dans le texte, la rédaction semble débuter dès août 1929, dans le mois suivant l’arrivée en Guyane. Le chapitre 4 «  Les îles du Salut – Les internés » est daté de décembre 1929, mois durant lequel l’auteur est admis à l’hôpital de l’île Royale. Il semble donc que la prise de notes ait été effectuée au fil du séjour. Toutefois, bien que le support matériel soit uniforme, on peut douter que Berryer ait réalisé ce document en Guyane. L’écriture nette, uniforme et appliquée, l’absence de redondance, l’organisation quasi-parfaite du document, l’inclusion de notes à renvois internes, de plans, le collage de dessins et l’ajout d’un ultime chapitre dont la numérotation est indépendante (on passe sur l’originale de la page 148 à la page 1) tendent à démontrer que la composition a été réalisée après son retour.

Les illustrations accompagnant le récit ont été exécutées dans un style « Lagrange », célèbre artiste faussaire contemporain de Berryer. Le bagnard Lagrange ayant régulièrement proposé ses services d’artiste à qui voulait bien les acheter, on a pu douter un moment de l’authenticité de ces illustrations. Deux indices nous incitent toutefois à en maintenir l’attribution à Berryer, au-delà de sa seule signature : d’une part, Francis Lagrange ne fut envoyé au bagne qu’en 1931, date à laquelle Berryer n’y est plus ; d’autre part, Berryer conjuguait très certainement la maîtrise du croquis technique et un talent pour le dessin d’expression libre, par son expérience de géomètre prospecteur mais aussi parce qu’il avait suivi avant la Première guerre mondiale une formation de trois années à l’école Germain Pilon (qui devint en 1922 l’école des arts appliqués à l’industrie).

 

Témoignage d’un surveillant-condamné

En janvier 1931 donc, date marquant la fin de rédaction, Berryer n’est plus surveillant pénitentiaire. Cette position particulière éclaire le contexte de rédaction de son témoignage et, pour partie au moins, sa motivation, explicite dès l’avant-propos : il s’agit de décrire exactement « sans prose superflue », la vie du surveillant et du condamné « telle qu’elle est sous le climat débilitant de la Guyane française ». Autant comprendre que pour Berryer, rien ou très peu de choses sépare la condition du surveillant du condamné. Sa perception des lieux, dès le premier contact, est teintée de crainte et de dégoût : « Saint-Laurent pue la misère tant l’aspect des choses et des gens est minable. On sent tout de suite que ce n’est pas un pays de cocagne autant pour les fonctionnaires que pour les misérables qui y expient leurs crimes. En débarquant une sorte d’angoisse nous prend à la gorge et on se demande si on pourra vivre dans ce milieu de misère parmi tous ces êtres déchus de l’humanité » (chap. 1, p. 5). Sa description d’une « Tentiaire » qui « entrave tout, qui englobe tout » (chap. 2, p. 16) est sans concession. Au fil d’une exposition minutieuse des lieux d’exécution des peines, d’un quotidien débilitant et des excès qui font l’ordinaire, Berryer dresse quelques portraits de bagnards. A l’exception des plus connus de l’époque (Seznec, Dieudonné…), ces condamnés sont cités par une simple initiale.  Berryer se fait alors le relais de destinées brisées ou d’événements illustrant la dureté du bagne. Etant donné la brièveté de son séjour sur le terrain, l’essentiel des faits rapportés est de seconde main. C’est dans ce texte par exemple que l’on découvre la première relation écrite de l’assassinat de Balestra par Muratti (p. 77). Berryer n’en ayant pas été le témoin, il est possible que sa source soit René Belbenoit, qui consacrera quelques pages à ce crime dans son célèbre livre Dry Guillotine (1938). Il est possible aussi qu’il ait eu accès indirectement aux textes saisis de Belbenoit, dont on sait qu’il écrivait depuis 19261 .

Si Berryer fait ainsi une part égale à la misère des conditions de vie des bagnards comme des surveillants, il reste fort critique envers les pratiques de ses collègues. Il n’hésite pas à dénoncer la paperasserie, les trafics, les petits arrangements clientéliste, les pratiques vexatoires et les mauvais traitements que les agents pénitentiaires infligent aux condamnés. Dirigée par « des nullités de premier ordre », l’administration considère que les bagnards sont des êtres mauvais, elle les garde comme du « bétail » : « Tous ces hommes doivent se gangrener les uns les autres et pourrir dans d’infectes geôles sans espoir aucun de sortir de ce cloaque immonde qu’est le bagne » (chap. 2, p. 20). Le milieu est « ignoble », « vermoulu », « corrompu ». Le bagne n’est pas un lieu de redressement mais de « perdition » et la métropole, qui s’émeut au même moment des « bagnes d’enfants », ferait bien aussi d’ouvrir les yeux sur la Guyane, peut-être trop éloignée pour émouvoir l’opinion publique.

Connaissant les difficultés rencontrées par Berryer lors de son séjour en Guyane, on ne peut exclure une part de ressentiment dans cette charge qui vise d’ailleurs moins l’organisation militaire que l’administration pénitentiaire. Si cette dimension n’est pas à exclure, il faut aussi rappeler que l’auteur excipe sa position inférieure de « garde-chiourme » pour crédibiliser son propos, tentant ainsi de valoriser la singularité de son témoignage en se démarquant soigneusement de « ces écrivains du bagne qui y sont venus en amateurs » (Avant-propos). D’une part, il tente de contrebalancer sa critique par des descriptions aussi exactes que possible, « sans prose superflue » ; de l’autre, il cherche à réinscrire in fine son regard critique dans une tradition de dénonciation dont la figure éponyme est le journaliste Albert Londres, d’ailleurs cité à deux reprises dans le dernier chapitre, écrit en France.

Le texte de Berryer a été rédigé plus de 25 ans avant le premier récit publié par un surveillant (Roger Flotat (Au plus chaud de l’enfer du bagne, éd. Scorpion 1957). Ce manuscrit constitue à ce jour le seul témoignage de personnel pénitentiaire rédigé dans l’Entre deux-guerres.

Nous devons à la générosité de Philippe Zoummeroff la possibilité d’offrir ce document exceptionnel à une consultation publique. Nous tenons à lui exprimer ici notre fidèle reconnaissance.

La transcription du document original a été réalisée par Philippe Poisson. L’orthographe originale a été conservée lorsqu’elle ne nuisait pas au sens.

 

Source consultée pour la rédaction de cette notice : dossier personnel ANOM EE/II/2388/13

 

Notes

1.

Voir l'inventaire du fonds Belbenoit sur le site du centre Harry Ransom (University of Texas at Austin)